Santé des femmes, un bien précieux à préserver
Source Le Mutualiste.
C’est un fait : les femmes vivent plus longtemps que les hommes. En 2022 en France, leur espérance de vie était de 85,7 ans contre 80 ans pour les hommes, selon l’Insee. Mais ce que l’on sait moins, c’est qu’elles vivent aussi en moins bonne santé. En cause : des diagnostics tardifs, des stéréotypes persistants ou encore une sous-représentation dans les essais cliniques. Une réelle discrimination de genre, qui peut aller jusqu’à mettre la vie des femmes en danger. C’est pour toutes ces raisons qu’il est important de s’intéresser à leur prise en charge médicale.
Sommes-nous réellement tous égaux devant la santé ? Pas vraiment. Il faut dire que pendant des siècles, la médecine était un domaine réservé aux hommes. « Historiquement, les médecins se basent sur une théorie implicite qui suppose que ce qui est valable chez l’homme le serait pour toute l’humanité, raconte Alice de Maximy, fondatrice du collectif Femmes de Santé, citant une intervention de Muriel Salle, universitaire et experte en études de genre et humanités médicales. Aussi, dans la tête de tous, le patient type est un homme (blanc). Un raccourci dangereux qui perdure et qui rendrait les femmes plus sujettes aux retards voire aux erreurs de diagnostics. »
Intégrer la dimension de genre en matière de santé :
Or, les femmes et les hommes sont différents. Physiologiquement d’abord. Une disparité qui s’est longtemps limitée, pour le corps médical, à la fonction reproductrice du corps de la femme, et qui a eu pour effet de délaisser d’autres distinctions ou pathologies spécifiques. Socialement ensuite. Le genre — « concept qui désigne les processus de construction sociale et culturelle des identités féminine et masculine, et ceux des rapports sociaux entre les sexes », indique l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) —, tout comme le revenu ou encore le type d’emploi sont autant de déterminants sociaux à prendre en compte quand on s’intéresse à la santé d’un individu. Les comportements, eux aussi, influent sur l’état de santé. Ceux des hommes et des femmes peuvent être les mêmes, différer ou évoluer au fil du temps. Depuis quelques années par exemple, les femmes fument davantage, les rendant plus à risque de contracter un cancer du poumon (+ 4,3 % par an entre 2010 et 2023, selon l’Institut national du cancer - Inca).
Sans parler de la charge mentale qui incombe majoritairement aux femmes : « Selon le baromètre “Perception des femmes sur leur santé”, réalisé par notre collectif avec l’institut CSA en 2023, 85 % des Françaises estiment que leur famille est leur priorité numéro un, indique Alice de Maximy. Viennent ensuite la santé de leur entourage (83 %), puis seulement leur propre santé (77 %) et leur bien-être (71 %). La moitié des femmes qui se déclarent en bonne santé ne le sont pourtant pas. Parmi elles, deux femmes sur dix ont même un problème considéré comme moyennement grave voire grave. » « Ces femmes, malheureusement, négligent leur suivi médical du quotidien », se désole-t-elle.
Une prise en charge différenciée de la douleur :
Les femmes vont longtemps être considérées par le corps médical comme étant en moins bonne santé que les hommes. Elles vont aussi voir leur souffrance banalisée. Une perception qui surgit historiquement au coeur d’une culture judéochrétienne qui condamne la femme à enfanter « dans la douleur ». La souffrance de l’accouchement est donc perçue comme naturelle, au point qu’il aura fallu attendre les années 1980 pour voir apparaître en France la péridurale, remboursée à 100 % que depuis 1994. De même, pendant longtemps, la dépression du post-partum ou autres complications après l’accouchement sont communément tues.
Endométriose : une maladie trop longtemps ignorée :
Cette banalisation de la souffrance vaut aussi pour les douleurs des règles. Ceci participe à expliquer pourquoi l’endométriose — maladie gynécologique caractérisée par la présence anormale, en dehors de la cavité utérine, de fragments de tissu semblables à ceux de la muqueuse de l’utérus — et son diagnostic ont été si longtemps ignorés, alors que la pathologie est connue depuis 1860. Cette maladie, qui peut être à l’origine de douleurs intenses pendant les règles mais aussi lors des rapports sexuels, touche environ 1,5 million de Françaises, et est la première cause d’infertilité. Et pourtant, selon l’association EndoFrance qui lutte contre l’endométriose, les patientes doivent encore attendre sept ans en moyenne avant d’obtenir un diagnostic. Pour limiter cette attente, la Haute Autorité de Santé (HAS) vient d’autoriser, dans certains cas, le diagnostic par simple test salivaire. Pour autant, aujourd’hui, aucun traitement définitif de l’endométriose n’existe.
Des stéréotypes qui perdurent :
La douleur d’un homme est, à l’inverse, davantage prise au sérieux. Les clichés sont encore tenaces, observe Alice de Maximy : « Selon que le patient est un homme ou une femme, l’analyse du soignant ne sera pas la même sur une pathologie identique. » En outre, les patientes elles-mêmes ont tendance à négliger leurs symptômes. Ainsi, les maladies cardiovasculaires, considérées comme des pathologies plus masculines, sont aujourd’hui la première cause de décès chez la femme.
Essais cliniques : où sont les femmes ?
Autre constat alarmant : la sous-représentation des femmes dans les essais cliniques. Ces étapes, pourtant essentielles pour tester l’efficacité et la sécurité d’un
médicament, sont majori tairement réalisées sur des hommes. Pourquoi ? Parce que les fluctuations hormonales des femmes et le risque qu’elles soient enceintes durant les tests rendent les études plus complexes à mener. « C’était donc au départ par souci de protection envers les femmes potentiellement enceintes que celles-ci ont été évincées », analyse la fondatrice de Femmes de santé. Mais cette « exclusion » peut toutefois remettre en cause l’efficacité de certains médicaments sur leurs personnes. Elle laisse même place à quelques aberrations, comme ces recherches de risque de cancers gynécologiques conduites… chez des hommes. Par conséquent, les femmes peuvent se voir prescrire des traitements mal dosés, ou réagir différemment à tel ou tel médicament. Résultat : selon l’Académie de médecine, elles seraient jusqu’à deux fois plus sujettes aux effets secondaires que les hommes.
La mixité des études cliniques et la considération de la femme comme sujet de recherche à part entière apparaissent donc essentielles pour une meilleure prise en charge de leur santé. Du côté des professionnels de santé, les femmes sont de plus en plus nombreuses : en 2020, elles représentaient 67 % des étudiants dans
les universités de médecine, d’odontologie, et de pharmacie, selon le ministère de l’Enseignement supérieur. La féminisation du secteur laisserait-elle présager
des changements de mentalité, avec un intérêt accru pour la santé des femmes et leurs spécificités cliniques ?
En attendant, pour Alice de Maximy, c’est à tous les acteurs de la santé et de la prévention de s’adapter : « L’ensemble des actions de prévention alourdissent la charge mentale des femmes au lieu de l’alléger, considère-t-elle. Pour faciliter les démarches, nous recommandons le déploiement d’outils et supports de proximité (campagnes en entreprise, bus itinérants…). C’est en allant à la rencontre des femmes et en prenant en compte les inégalités sociétales que nous parviendrons à tendre vers plus d’équité en santé. »